En 2019, la jeune startup HYMAG’IN s’installait dans nos locaux. Depuis, l’équipe s’est agrandie et travaille aujourd’hui activement à l’amélioration de son procédé de production de magnétite, tout en étudiant les voies de valorisation possibles de son produit dans différents secteurs, notamment l'épuration de l'eau.
Camille, à l’origine il me semble qu’HYMAG’IN visait la production d’hydrogène, or aujourd’hui vous parlez surtout de magnétite. Vous ne produisez plus d’hydrogène ?
Camille Crouzet. En fait, nous travaillons sur un procédé inspiré d’une réaction naturelle qu’on appelle serpentinisation en géologie, et qui se déroule au fond des océans sous de très hautes pressions. Cette réaction hydrothermale transforme le fer contenu dans un minéral, l’olivine, en hydrogène et en un oxyde de fer, la magnétite. Notre procédé s’inspire de cette réaction chimique en utilisant des déchets de l’industrie métallurgique comme source de fer pour fabriquer de la magnétite. Nous produisons donc bien de l’hydrogène dans nos réacteurs, mais pour nous il est aujourd’hui un sous-produit, car c’est principalement la magnétite que nous souhaitons valoriser à travers HYMAG’IN.
Et quels sont ces déchets industriels que vous utilisez pour produire votre magnétite ?
Au départ, nous travaillions avec des laitiers d’aciéries, mais petit à petit nous avons changé de matière première et aujourd’hui nous fabriquons notre magnétite à partir de poudres issues du meulage, de la découpe ou du grenaillage de l’acier.
Pourquoi avoir changé de matière première ?
Parce que ces résidus sont plus riches en fer et de meilleure qualité que les laitiers. Nous produisons une magnétite de petite taille, ce qui lui donne des propriétés très intéressantes notamment du point de vue de la réactivité chimique. Même si nous n’atteignons pas la qualité des magnétites de grade laboratoire que l’on trouve sur le marché, le procédé que nous développons permet d’obtenir de grandes quantités avec des coûts réduits, pour un produit qui reste très qualitatif. Aussi nous avons choisi de nous positionner sur des applications qui nécessitent une production à l’échelle de plusieurs tonnes. Pour cela, il nous fallait une matière première à haute teneur en fer, car le fer est l’ingrédient principal de notre réaction.
Donc à terme, HYMAG’IN vise la production à grande échelle d’une magnétite de haute qualité, à coût réduit, à partir de déchets industriels et en utilisant un procédé géo-inspiré ! Et quels sont ces marchés de masse que vous envisagez pour votre magnétite ?
Nous avons mené en parallèle une étude bibliographique et une étude de marché qui ont fait ressortir une application particulièrement en phase avec notre technologie en termes de volumes, de qualité et de valeur : le traitement de l’eau. Dans ce domaine, on utilise déjà des oxydes fer pour abattre des polluants dissous, mais la magnétite en tant que telle n’est pas vraiment employée, et dans les nombreuses publications que nous avons identifiées, les études se limitent la plupart du temps à des pilotes de démonstration.
Et pourquoi cela ? La magnétite n’est-elle pas une bonne candidate à l’épuration des eaux ?
Si, elle l’est ! Mais il semblerait qu’il y ait deux verrous à lever pour passer à l’échelle supérieure. D’une part il faut une magnétite de bonne qualité, et d’autre part il faut des quantités importantes. Or aujourd’hui, aucun fournisseur ne peut répondre aux deux critères en même temps et c’est vraisemblablement ce qui limite le développement de la technologie dans ce domaine. C’est pourquoi ce marché est aussi attractif pour nous, et il nous faut avancer sur notre R&D pour démontrer la pertinence de notre magnétite vis-à-vis de l’adsorption de polluants et la positionner dans son environnement concurrentiel.
Démontrer l'efficacité de la magnétite pour le traitement de l'eau, c'est ce sur quoi vous travaillez actuellement ?
En partie oui. Nous réalisons en ce moment des tests pour mesurer la capacité de la magnétite à réduire chimiquement et immobiliser des polluants dissous et faiblement concentrés. Cette problématique des micropolluants concerne aussi bien les eaux potables que les rejets de stations d’épuration, les effluents industriels ou même l’eau du sol. Nous cherchons à quantifier la capacité d’adsorption de notre magnétite et également à déterminer sa sélectivité vis-à-vis de certains polluants clés comme l’arsenic, le sélénium, le chrome mais aussi des résidus de produits phytosanitaires ou de médicaments.
Capacité d'adsorption des polluants et sélectivité, comment les mesurez-vous ?
Nous travaillons en jar-test, c’est-à-dire en mélangeant directement notre magnétite à l’échantillon liquide, puis en mesurant les concentrations résiduelles des différents polluants dissous après contact. Nous expédions également des échantillons à nos prospects afin qu’ils réalisent eux-mêmes des essais.
Et alors, votre magnétite est-elle efficace ?
Oui, nos résultats sont très encourageants, y compris sur des échantillons réels contenant de nombreux polluants en mélange. Nous aimerions aujourd’hui développer d’autres méthodes, en réalisant par exemple des colonnes de magnétite dans lesquelles nous pourrions faire circuler directement les effluents liquides pour pouvoir traiter en continu et non plus en batch. Même si ce sont des techniques bien connues, nous avons quelques problèmes à résoudre car notre magnétite est très fine et pourrait avoir tendance à s’échapper de la colonne ou à colmater. Sur ce sujet nous aurions besoin de collaborations avec la recherche en génie des procédés pour nous aider à trouver des solutions.
L’année dernière vous avez installé un nouveau pilote sur la plateforme, l’ancien était-il obsolète ?
Ce nouveau pilote est plus gros que le précédent, il nous permet de produire jusqu’à deux tonnes de magnétite par an que nous utilisons dans nos essais, ce qui nous fait gagner du temps et de la souplesse de fonctionnement. Il est également mieux équipé et c’est important car nous cherchons à maîtriser la qualité de notre production. Pour cela nous affinons notre maîtrise du procédé afin qu’il soit parfaitement reproductible et donne une magnétite de qualité constante, car ses performances en dépendent.
Envisagez-vous d’autres applications ?
Nous réfléchissons à beaucoup d’applications qui pourraient voir le jour. Par exemple, en mettant à profit ses propriétés naturelles d’absorption des ondes électromagnétiques, notre magnétite pourrait être utilisée dans différents matériaux ou peintures pour la protection contre les interférences ou pour la furtivité radar. Et puis elle est sensible aux champs magnétiques, n’oublions pas qu’elle est constituée principalement de fer. Toujours dans le domaine de la chimie, si l’on parvenait à greffer des catalyseurs sur nos particules de magnétite, il serait alors possible à l’aide d’un simple aimant, de séparer les catalyseurs du milieu réactionnel pour les réutiliser ensuite.
Comme souvent lorsqu’on dispose d’un matériau nouveau à fort potentiel, la difficulté est de choisir son application principale dans un premier temps...
En effet, et pour nous aujourd’hui, la première application c’est le traitement des eaux. Mais avec deux personnes à plein temps en R&D, nous avons la capacité de tester et de développer d’autres utilisations de nos magnétites, et nous sommes très ouverts à la discussion. Nous venons tous de la recherche et nous savons faire preuve d’hymagination !
HYMAG’IN a été lauréate du grand prix au concours d’innovation i-Lab 2019. L’entreprise compte aujourd’hui 4 salariés et deux étudiants en formation, et projette de s’agrandir au deuxième semestre 2021.
Contact
Camille Crouzet
camille.crouzet(at)hymagin.com